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Titel
L’armonia contesa. Identità ed educazione nell’Alsazia moderna.


Autor(en)
Negruzzo, Simona
Erschienen
Bologna 2005: Il Mulino
Anzahl Seiten
396 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Bertrand Forclaz

L’Alsace est une région de frontière par excellence, sur le plan confessionnel, linguistique et géopolitique. C’est cette complexité que Simona Negruzzo, chercheuse à l’Université catholique de Milan, étudie dans ce bel ouvrage. Elle s’y intéresse aux diverses identités de l’Alsace moderne, saisies à travers le prisme de l’éducation, dont elle souligne la valeur totalisante: les enjeux en sont en effet religieux, culturels et politiques. Les bornes chronologiques de cette étude sont l’introduction de la Réforme (1518) et le départ des jésuites (1765). S. Negruzzo définit trois critères d’observation: l’appartenance confessionnelle, les rapports entre les confessions et les caractéristiques de la vie chrétienne.

L’ouvrage suit un plan chronologique, qui permet de mettre en évidence les «révolutions» que connaît l’Alsace, et en particulier Strasbourg: l’humanisme, la Réforme et l’annexion à la France en 1681.

Le premier chapitre est consacré à la Réforme et à la Contre-Réforme. Alors que l’identité alsacienne acquiert au XVIe siècle un caractère antifrançais, la Réforme n’aboutit pas à la constitution, en Alsace, de deux blocs, l’un protestant et germanique, l’autre catholique et francophone. Strasbourg, ville de frontière, reste un lieu de formation et de discussion ouvert et tolérant, même si la culture urbaine acquiert un caractère confessionnel marqué. Dans le domaine éducatif, cette évolution se traduit par la fondation, en 1538, d’un collège par le réformateur Johannes Sturm. La nouvelle école, imprégnée par la pédagogie humaniste, connaît un succès rapide, et elle attire des étudiants d’Europe centrale et d’Autriche. En 1566, elle reçoit le statut d’académie, et en 1621, la ville obtient de l’empereur son élévation au rang d’université.

En parallèle, l’Eglise catholique, après avoir évité de peu la perte complète de l’Alsace, met en oeuvre une stratégie contra-réformatrice: en 1580, les jésuites fondent un collège à Molsheim, non loin de Strasbourg – ce bastion de lutte contre l’«hérésie» sera également transformé en université en 1617. Les jésuites se mon trent également très actifs dans le domaine pastoral – notamment à travers la prédication et des missions – et fondent des confréries. Quels sont les rapports entre les deux collèges? Si tous deux s’inspirent du modèle humaniste, les accents sont différents, en fonction des objectifs poursuivis par chaque confession: alors que l’académie luthérienne insiste sur la lecture de la Bible, le collège catholique met l’accent sur les sacrements et les exercices pieux. Par ailleurs, la polémique confessionnelle est vive: alors que les maisons jésuites sont des foyers de la Contre-Réforme, le clergé protestant attaque en termes extrêmement durs l’ordre ignacien.

Le deuxième chapitre concerne le XVIIe siècle. Cette période est marquée par des tensions confessionnelles prononcées au début de la guerre de Trente Ans; la seconde moitié du siècle se distingue par le pouvoir grandissant de la France, qui aboutit à l’annexion de l’Alsace en 1681. Les administrateurs français se voient confrontés à un problème linguistique, et devront faire preuve de pragmatisme; ils peuvent toutefois compter sur la disponibilité d’une partie de la noblesse, de la bourgeoisie et de l’Eglise catholique, pour lesquelles de nouvelles possibilités de carrière s’ouvrent. Les sympathies proallemandes resteront cependant fortes au sein de la population. Dans le domaine religieux et éducatif, les jésuites fondent de nouveaux collèges et confréries et organisent des fêtes baroques; leur engagement a un impact majeur sur la piété populaire. Le passage à la France entraîne l’encouragement des conversions au catholicisme et des discriminations envers les protestants. En 1685, un collège jésuite est fondé à Strasbourg: il deviendra un bastion du catholicisme gallican, cependant que le collège de Molsheim reste la place-forte du catholicisme rhénan. Le durcissement des rapports confessionnels n’entraîne cependant pas la fixation d’une frontière étanche, et les influences réciproques subsisteront. Quant à l’académie protestante, le passage à la France entraîne son déclin, mais pas sa disparition.

Dans le dernier chapitre, l’auteur s’intéresse au XVIIIe siècle. Les écoles paroissiales, dont la croissance avait fortement ralenti au siècle précédent, sont relancées, et le taux d’alphabétisation progresse: l’Alsace est à la fin de l’Ancien Régime l’une des régions les plus alphabétisées du royaume. Sur le plan linguistique, l’administration ne mène pas une politique active de promotion du français, de sorte qu’à Strasbourg, le bilinguisme reste limité à la fin du siècle. Quant aux institutions éducatives, on observe un renversement de tendance par rapport au siècle précédent: l’université protestante retrouve son dynamisme et entretient des rapports étroits avec Göttingen. Les étudiants catholiques y sont nombreux, de sorte qu’une «trêve confessionnelle» s’y réalise. Les élites protestantes adhèrent aux Lumières, et des sociétés littéraires sont fondées. Les collèges catholiques, eux, deviennent le bastion de l’orthodoxie romaine contre les protestants, les jansénistes et les libres penseurs.

A travers les institutions éducatives, S. Negruzzo a écrit une histoire culturelle et religieuse de l’Alsace moderne qui se distingue par son ampleur et sa richesse. Elle a su restituer le climat intellectuel ouvert de Strasbourg dans ses multiples dimensions, entre humanisme et Lumières, Réforme luthérienne et Réforme catholique. L’analyse comparée des deux confessions, de leurs interactions, leurs oppositions et leurs échanges, est exemplaire. L’autrice met en évidence l’apport de l’Alsace à la construction de l’Europe moderne, dans son pluralisme culturel et religieux. Sur ce point cependant, l’engagement proeuropéen «postnational» sousjacent, pour légitime qu’il soit, gomme le caractère controversé de l’«harmonie» entre catholiques et protestants qui donne son titre au livre. Il s’agit toutefois d’une réserve mineure, et il est à souhaiter que cet important ouvrage trouvera la réception qu’il mérite dans l’espace francophone et germanophone.

Citation:
Bertrand Forclaz: Compte rendu de: Simona Negruzzo: L’armonia contesa. Identità ed educazione nell’Alsazia moderna. Bologna, Il Mulino, 2005. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 1, 2008, pages 116-118.

Redaktion
Veröffentlicht am
26.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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